Il est grand temps de faire le point sur la déferlante numérique qui vient de frapper Montréal ce printemps 2012. Les partenariats entre Elektra, Mutek et le Quartier des Spectacles et la participation des hauts lieux de culture montréalais tels que la SAT et les galeries de l’Espace Belgo entre autres, démontrent la volonté de dépasser les limites physiques du numérique. Les tentacules de la culture numérique pourtant invisibles se sont manifestées en grande pompe pour défricher le territoire fertile aux frontières de la technologie, l’art et le virtuel. Positionnant plus que jamais Montréal comme la ville du numérique en Amérique du Nord.
Elektra
La soirée phare de la 13e édition du festival Elektra offrait des performances dont l’intensité montait en crescendo. La première prestation lo-fi du duo italien Schnitt invitait à réfléchir sur la grille en mouvement, ce croisement de lignes verticales et horizontales, et surtout où sont passées les 678 fichiers vidéos que les artistes ont synchronisés. En deuxième position, un autre duo, allemand, incite/, nous plongeait dans un univers visuel macroscopique accompagné de sons upbeat avec une basse prononcée. Belle énergie. Le bouquet final fût donné par l’événement Sirens du tant attendu Ryoichi Kurokawa. Ses cinq tableaux en mouvement hypnotisaient par leur vibrante densité d’une finesse et d’une précision japonaise inégalée, passant de l’abstrait au concret pour dévoiler subtilement le sens caché de ses visions. Une expérience électrisante. C’est juste dommage que le volume sonore fût si fort.
Pas étonnant donc si le thème d’Élektra cette année est l’invisible, dans ce sens que les procédés numériques sont indissociables des créations artistiques de nos jours. À un plus haut degré, ces oeuvres extrêmes laissent des traces imperceptibles dans notre mémoire et affectent notre perception du monde.
Parcours numérique
Le parcours numérique dans le Quartier des spectacles permettait de découvrir les nouveautés numériques à travers la ville, quelques-une interactives, d’autres des vidéos astucieusement intégrées dans l’architecture. Du ludique et familial « Bla-Bla » de Vincent Morrissette à l’hallucinant « Epiphaneia », vidéo-mapping de Refik Anadol, en passant par « Daily tous les jours » et l’hermétique « Choses », le parcours offrait une nouvelle vision de l’espace urbain et son architecture qui, pour l’occasion, servait de support à la création numérique avide d’engloutir le promeneur. Voici la preuve que nous pouvons vivre l’expérience de la création numérique au-delà de l’écran; celle-ci peut se faire dehors, nous ouvrant ainsi les yeux sur notre ville et son potentiel.
Cinechamber
Chapeau à Naut Humon qui a présenté de manière très convaincante l’histoire de Recombinant Media Labs lors de la projection de la série Panorama – parmi lesquels artistes on pouvait voir Ryoichi Kurokawa. Si vous aimez l’expérience de la Satosphère, attention ici la qualité de la vidéo est détonante. Et si le son, irréprochable surround, atteint des sommets un peu trop intenses, il suffisait d’enfiler les boules Quies gentiment offertes à l’entrée. Les performances live valaient également le détour notamment avec un des maîtres de l’ambiant contemporain, Marsen Jules.
Out of the Blue / Into the Black
L’exposition qui avait lieu dans l’ancienne école des Beaux-Arts portait bien son: de salle en salle, nous plongions dans la noirceur totale pour redécouvrir le phénomène de la lumière à travers la ville, la science, le cosmos et nos modes de perception. Certes il y avait un arrière-goût Tron-esque et cinétique, mais tellement mis au goût du jour. Résultat: un délice visuel et neuronal.
Ryoji Ikeda
La Biennale Internationale d’Art Numérique (BIAN) présentait encore bien d’autres œuvres qui méritent mention, mais je préfère m’attarder sur l’exposition de Ryoji Ikeda qui s’étend jusqu’au 18 novembre 2012. Si vous n’avez pas vu ses spectacles durant les éditions précédentes d’Elektra, ne vous en faites pas. Le DHC/Art est là pour vous le faire découvrir avec leur maitrise habituelle à présenter les œuvres dans un ordre progressif qui va en s’intensifiant. Le visiteur pénètre l’univers du « poète de l’ère numérique » et son exquise précision mathématique en passant du microscopique et figé au macroscopique et animé. Ce qui m’a le plus frappé de l’exposition c’est à quel point l’artiste exploite tous les matériaux numériques à sa disposition (sons, images, données, lumière) pour proposer des œuvres colossales qui mènent à une réflexion sur la faculté humaine d’abstraction et de manipulation du savoir et du contrôle.
Conclusion
Régénérez vos neurones en visitant les expositions des artistes:
Rendez-vous au printemps prochain pour les manifestations numériques et dans deux ans pour la deuxième édition de la BIAN. Préparez-vous à être secoués par la propagation de la création numérique. Car, en plus de régaler tous vos sens, ces artistes vous donnent un avant-goût de nos futures relations insoupçonnées avec la technologie.