Les deux dernières semaines ont été le théâtre des conventions républicaine et démocrate. Ces grandes mises en scène de la politique américaine, télévisées pour le plus grand nombre, sont un festival de discours, de déclarations d’appui, de démonstrations d’unité du parti, de constructions de l’image «présidentiable» du candidat… En tout cas, c’était la tradition. On a bien eu la succession des discours des candidats défaits aux primaires, des colistiers choisis et des potentiels premiers conjoints – une nouvelle terminologie plus inclusive des genres. On a eu droit à certaines envolées rhétoriques bien senties, à l’appel aux valeurs universelles et à certaines références aux grands orateurs du passé. Bref, à tout ce qui fait des conventions un spectacle politique à grand déploiement. Mais cette année, c’était différent.
La convention républicaine – Make America Hate Again
Le pari de l’homme blanc en colère et l’échec de la politique télé-réalité
Depuis l’annonce de sa candidature, pas une semaine ne s’est écoulée sans que nombre de journalistes, chroniqueurs et autres observateurs n’annoncent le dégonflement de la bulle Trump, elle-même soufflée par les controverses médiatisées. Plusieurs croient, en raison de ses investissements publicitaires moindres, que l’investiture de Trump est la preuve de la perte de vitesse de la télévision dans le débat politique. Pourtant, c’est tout le contraire, alors que Trump a été le candidat le plus télévisé, le plus couvert et le plus visible pendant toute la durée des primaires. Selon le Shorenstein Center on Media, Politics and Public Policy de la Harvard Kennedy School, la teneur de cette couverture médiatique était même nettement positive, tant qu’il n’était pas encore désigné comme le candidat républicain*.
La convention républicaine a marqué la conclusion d’une guerre de stratégie divergente dans le GOP et le couronnement de l’outsider improbable et négligé. Son salut passe par son attrait envers «l’homme blanc en colère» et il espère être porté au pouvoir par la majorité silencieuse, celle qui s’exprime plus souvent dans les boîtes de commentaires en ligne que dans les grands médias.
Trump semble de plus en plus isolé dans ce pari. Aucun ancien président n’est venu l’appuyer, Cruz a refusé de lui donner son appui, sa femme n’a su trouver seule les mots pour lui donner le sien, même Sarah Palin, qui habituellement ne rechigne pas à parler pour ne rien dire, n’a pas fait le voyage à la convention de Cleveland. Sans doute les relations russo-américaines sont trop tendues pour qu’elle délaisse son poste d’observation.
Les stratèges républicains, s’il en reste en fonction, ne semblent pas comprendre que l’électorat américain n’est plus le bloc homogène auquel ils ont été habitués. Mitt Romney, qui a réussi à enregistrer 59 % du vote blanc en 2012, n’a quand même pas su stopper la réélection de Barack Obama. En comparaison, un appui de 55 % chez les Blancs avait suffi à créer le raz-de-marée électoral qui a poussé Reagan au pouvoir en 1980. Cette année-là, seulement 12 % des votes exprimés étaient noirs ou hispaniques. En 2012, leur proportion a doublé… Malgré tout, le selfie de Paul Ryan marque bien l’idée que le GOP est plus old que grand.
Trump a beau exciter sa base électorale, une stratégie habituellement payante avec un taux de participation d’à peine 50 %, il arrivera à court. Son pari de tout miser sur la politique spectacle pour rallier l’électorat n’a pas trouvé écho dans les auditoires télévisés de sa convention. Son discours a enregistré seulement 2 millions d’auditeurs de plus que Romney (2012) et près de 7 millions de moins que McCain (2008). Plusieurs ont démontré qu’on n’a pas besoin d’écouter un discours politique pour voter, mais on ne parle manifestement pas du mouvement social auquel on tente de nous faire croire.
La convention démocrate: le microciblage et la construction tactique d’une majorité
En dépit de la révélation que le Comité national démocrate (CND) a favorisé Clinton au détriment de Sanders et de la déception très vocale de ses partisans, la convention démocrate a été capable, après quelques «Bernie or Bust» criés à la volée, de présenter un visage beaucoup plus uni. Ce sont alors succédés au micro les grands clercs démocrates, aussi exaltés pour Hillary que terrifiés à l’idée de voir la Maison-Blanche affublée du néon des Trump Towers.
Ce qui est ressorti de la stratégie démocrate, c’est la volonté de rejoindre des microsegments d’électorats, de courtiser des démographiques précises et de rejoindre les pans d’électorat habituellement trop petits pour obtenir une attention dans les communications de masse, qui ont été au cœur de la convention démocrate. Bien que le thème récurrent a été la confiance dont est digne Hillary, chacun a tablé sur un message précis ou un microsegment. Michelle Obama est venue courtiser les Noirs; Bloomberg, les gens d’affaires craintifs; Warren, les femmes; Kaine, les hispanophones; Sanders, les progressistes; alors que Bill Clinton a nommé au moins une dizaine d’États, chaque fois sous un tonnerre d’applaudissements. Bill en a profité pour rappeler que sa femme est en politique par altruisme, le président Obama, qu’elle était plus compétente que quiconque à relever le défi (y compris Bill et lui-même) et Chelsea, sa fille, qu’elle avait réussi sa carrière en demeurant une mère présente et un modèle.
L’espoir démocrate réside dans la construction de cette majorité par accumulation de sous-segments. Les discours ont été résolument positifs et l’électorat américain prouvera dans quelques mois que l’optimisme triomphe sur la peur. C’est la première dame qui l’a le mieux exprimé: «When they go low, we go high.»
*http://shorensteincenter.org/news-coverage-2016-presidential-primaries/