Un paysage vieux de deux milliards d’années pourrait être la meilleure solution face à la capacité d’attention de 8 secondes de ma génération: les fameux milléniaux. Toutefois, aller jouer dehors n’est pas aussi simple que ça. Le plein air est entouré de barrières culturelles, digitales et économiques. Ce qu’il faut faire pour sauver cette industrie? La démocratiser.
Selon le National Geographic, 2015 a marqué des records de visites dans les parcs nationaux américains, avec plus de 307 millions d’entrées enregistrées. Ironiquement, le futur de ces derniers et des territoires sauvages en entier n’a jamais été aussi menacé. Les jeunes ne sortent plus dehors. Au sens propre, les milléniaux sont plus détachés de la nature que toutes les générations qui les précèdent, affirme Jonathan Jarvis, directeur des services de Parc Nationaux des États-Unis. Malgré la montée des tendances éco-responsables et des milliers de photos de chalets qu’on retrouve sur les Instagrams, profiter des sentiers et s’occuper de la forêt est une priorité qui tombe assez bas dans la liste des Y.
Le weekend dernier, je me suis jointe à 75 tripeux de plein air pour le Sommet Génération plein air MEC, en partenariat avec la Sépaq. Première en son genre, cette initiative vise à rassembler des Canadiens âgés de 18 à 34 ans autour de tables rondes et de conférences – le temps d’une fin de semaine en forêt. Pour une fois, je n’étais pas la seule bébite qui clamait haut et fort qu’elle aime s’éloigner le plus loin possible dans les bois, sans électricité, sans eau, et surtout sans réseau.
J’y ai trouvé une piscine de jeunes talents extrêmement diversifiés: vidéastes, photographes, entrepreneurs, rédacteurs, intervenants en milieu social, athlètes, docteurs, nutritionnistes, développeurs, et j’en passe. On s’est rassemblé au parc des Îles de Boucherville autour du développement de projets communautaires et digitaux. Nos parcs, mais aussi l’industrie du plein air, sont en danger sur le long terme.
Au fil des discussions entre les participants; les membres du panel de juges (MEC, Burton, Sépaq); ou avec l’animateur de l’événement Hugues Fournel, olympien en canoë-kayak de vitesse; un élément est ressorti de manière assez flagrante: le plein air est perçu comme étant inaccessible.
Le plein air, ça coûte cher et c’est loin
Faux. La nature est à tout le monde et on doit en profiter. Comment faire passer ça? En favorisant la location d’équipement, ou en mettant de l’avant des promotions comme Every Kid In A Park, ou l’entrée gratuite offerte aux enfants par la Sépaq. D’autres vont encore plus loins, par exemple avec l’abolition des frais d’entrée chez Parcs Canada, en 2017.
En termes d’accessibilité, le transport est souvent évoqué. Cependant, nul besoin de s’exiler très loin pour se réveiller en pleine nature, avec un bol de café fumant le matin. Le parfait exemple: les Îles de Boucherville, situées à moins de 15 minutes du centre-ville de Montréal. Daniel Groleau, directeur à la Sépaq, se prononce sur le rôle particulier de ce parc: «Le site vise à faire découvrir le plein air et offrir un site naturel aux adeptes, mais aussi à faire la promotion de nos autres secteurs. Les Îles de Boucherville deviennent en quelque sorte une vitrine de l’ensemble des parcs régionaux québécois.»
THE OUTDOOR IS SO WHITE
Autre constat face à ces barrières: le côté culturel. Tour d’horizon rapide sous la tente où se déroulaient les discussions… on se rend rapidement compte que tout le monde est blanc, ou presque. Cela se traduit également à plus grande échelle, où le manque de diversité a été observé dans les parcs nationaux. Cette problématique découle de la perception. Toutes les cultures ne se retrouvent peut-être pas dans l’image actuelle du plein air projetée dans la société. Pour plusieurs, aller faire du camping, c’est quelque chose de générationnel, alors que pour d’autres, c’est synonyme de danger et d’inconnu.
Dans une publication de Timothy Egan, journaliste de voyage, qui raconte son récent périple père-fils à travers le parc du Joshua Tree, on peut lire que le fils de l’auteur – âgé dans la vingtaine, s’est tracé une image assez catégorique de la chose. Pour lui, faire du camping, c’est en quelque sorte «une occasion pour les blancs au portefeuille bien garni d’expérimenter la vie de sans-abri, dans un habitat naturel sécurisée». On pousse un peu loin, mais le fondement est tout de même frappant.
Côté stratégique, le fait de mettre autre chose qu’une famille traditionnelle-hétéro-blanche à l’avant-plan publicitaire des campagnes pourrait probablement contribuer à élargir la clientèle. Je lance ça comme ça.
Wait… je ne peux pas partager ça en LIVE?
Autre constat (qui n’étonnera probablement personne ici): ne pas avoir d’accès à un réseau Internet, c’est un problème pour plusieurs. Une étude menée par le United-States National Park Services démontre que 71% des milléniaux affirment être inconfortables à l’idée de passer plusieurs jours sans réseau, contre 33% chez les boomers. L’absence de Wi-Fi entraîne peur, insécurité, voire anxiété – ne pas être connecté, c’est loin d’être l’option idéale pour certains.
En ce sens, les parcs nationaux doivent s’arrimer avec la nouvelle génération. Inclure l’aspect digital dans le non-digital. Les milléniaux aiment partager ce qu’ils font, et les parcs ont besoin de rayonnement. Utiliser l’écran pour amener les gens à s’en éloigner… Une situation win-win?
En d’autres mots, se servir du monde digital pour les amener vers le monde réel. Doit-on rendre le Wi-Fi disponible dans les bois ? Non, quand même pas (s’il-vous-plaît). Cependant, les jeunes adultes forment une génération où expérience, spontanéité et dépassement de soi sont souvent des éléments respectés et mis de l’avant. Des checklists avec des options de partage social, ça les allume. À partir de là, les options digitales sont innombrables. Des listes de montagnes à grimper et de lacs à traverser, ou encore des types de plantes à «capturer» à la Pokemon Go?
Si Pikachu a été capable de créer un mouvement d’envergure et de faire sortir une tonne de geeks hors de leurs domiciles, avec les bons outils et un peu d’imagination, les parcs nationaux peuvent faire de même. Une recette où diversité, technologie et accessibilité sont les éléments fondateurs de la stratégie – question de créer une image version 2016 du plein air, dans laquelle l’ensemble des Québécoise se retrouvent.
Il y a des dizaines de façons d’amener les milléniaux dans les bois et de leur donner la piqûre… pour le reste, les épinettes et les lacs s’en chargeront.