La créativité est de plus en plus souvent citée comme dernier rempart à l’informatisation des métiers. Comme notre travail est créatif, jamais une machine ne viendra nous remplacer. N’est-ce pas? Et si les machines pouvaient juger la créativité? Et si elles pouvaient en produire? L’économie créative serait-elle vraiment à l’abri? Votre prochain directeur de création sera-t-il aussi artificiel qu’intelligent?
Watson, le programme d’intelligence artificielle (IA) conçu par IBM*, s’est fait connaître en gagnant au jeu télévisé Jeopardy! en 2011. Au-delà du stunt, Watson ne cesse d’apprendre et contribue aujourd’hui à poser des diagnostics, à prédire les niveaux de risque sur les marchés boursiers et à fouiller la jurisprudence. Watson peut vous aider à faire de l’argent, à éviter les poursuites, il peut même sauver des vies… Mais peut-il juger de la création? S’il s’agit d’un processus cognitif, ça devrait être facile pour Watson. Non?
L’apprentissage
Pour développer son jugement créatif, Watson a ingéré des milliers de pièces soumises dans la catégorie Outdoor au Festival international de la créativité de Cannes. Une quantité égale de pièces, les unes reparties avec un Lion sous le bras, les autres avec beaucoup d’humilité. Grâce à sa mémoire infaillible, Watson est devenu l’un des jurés possédant la plus grande culture publicitaire sur la planète.
La pratique
Après avoir étudié 80% des pièces d’une sélection donnée, Watson devait prédire le destin des 20% restants. Comme les résultats des concours antérieurs sont déjà connus, la machine obtient son bulletin en temps réel. Lors des derniers tests, Watson a prédit correctement le sort de 78% des pièces gagnantes et a éliminé, avec raison, 90% des pièces rejetées par le jury. Pas mal…
Le test
Le magazine The Drum a décidé de mettre Watson au test en lui demandant de prédire le sort des pièces américaines et britanniques de cette édition de Cannes. Vous pouvez consulter ses prédictions ici, les résultats y seront accolés lorsqu’ils seront rendus publics.
Son stage en agence…
Il ne s’agit pas de la première incursion de l’IA dans le monde publicitaire. McCann Erickson Japan annonçait en mars «l’embauche» de AI-CD ß, son premier directeur de création intelligent et artificiel. Et il a rapidement été mis en compétition avec ses collègues humains. Vous pouvez voir son travail ici. Les Japonais ont été appelés à voter pour la meilleure création… les résultats seront connus à la fin de l’été. Il est quand même intéressant de voir que la machine a compris notre appétit pour les animaux chantants et les effets spéciaux. Sommes-nous aussi prévisibles?
L’avenir
Au fait, Watson prédit le comportement des juges pas la qualité des pièces. «Je ne crois pas que Watson (ou n’importe quelle autre intelligence artificielle actuelle) soit capable de juger de la créativité, au sens premier. Par contre, il peut facilement identifier des patterns et des tendances qui sont en corrélation positive avec le nombre de prix reçus», explique Marc Blanchard, chef global du design d’expérience chez Havas Worldwide New York. Présentement au Festival, Marc relate aussi la présentation de Razorfish et Contagious, deux agences qui ont analysé 15 ans de pièces inscrites à Cannes et qui, en se penchant sur les crédits, ont conclu que les projets qui permettaient aux jeunes créatifs de collaborer à travers plus de disciplines réussissaient mieux que d’autres. D’après lui, «il est possible pour Watson de trouver ce type de corrélations et de les combiner avec d’autres approches comme les tendances sociales, l’analyse de tonalité, la psychologie des couleurs et même des insights sur les préférences exprimées des juges». Bien que ça puisse donner une prédiction de la victoire d’une pièce, ce n’est pas signe que la machine saura en juger la valeur créative.
L’habileté avec laquelle une machine prédit les gagnants d’un concours de créativité est déconcertante. On doit se demander si la créativité, telle qu’elle est jugée par les grands concours, est devenue une formule exempte d’émotions ou de goûts personnels. Plus la formule deviendra prédictive, plus il y aura d’intérêt à casser le moule et à proposer de nouvelles idées. Ces idées, plus difficiles à saisir à la première exposition pour Watson, sont les mêmes qui attireront l’attention des consommateurs et qui assureront notre rôle de générateur d’émotions…
* Full disclosure: Havas travaille avec IBM depuis plus de 20 ans.