Le 17 mars dernier, le monde apprenait qui est Christopher Wylie, un ex-directeur de recherche chez Cambridge Analytica. Dans The Guardian, Wylie dévoilait au public les secrets et l’étendue des actions de la firme d’expert-conseil en communication qui a récolté, puis exploité les données de plus de 50 millions d’utilisateurs Facebook à des fins politiques. Dans un mélange explosif de corruption, de stratégies électorales douteuses et d’utilisation frauduleuse de données personnelles, la valeur boursière de Facebook a plongé de quelque 75 milliards de dollars. En réaction, le mouvement #deletefacebook prend de plus en plus d’ampleur.
Pendant qu’une partie de la population mondiale se sent trahie par Facebook et dégoûtée par les actions de Cambridge Analytica, la publicitaire en moi demeure mitigée. D’un côté, je suis en fascination totale devant la force de leurs méthodes, leurs analyses et les résultats qu’ils ont livrés. L’aspect éthique mis de côté, Cambridge Analytica ne serait-elle pas finalement l’agence intégrée par excellence? Elle a amassé une quantité de données sans précédent, appliqué un filtre psychologique à celles-ci pour les modéliser en éléments compréhensibles et utilisables à des fins d’influence. Selon Wylie, la firme créait du contenu personnalisé en fonction des profils psychographiques développés. Ce mariage entre le microciblage média et la personnalisation des contenus culmine en un effet de masse qui est, en toute honnêteté, le rêve de bien des annonceurs et agences.
D’un autre côté, au-delà de la prouesse technique de Cambridge Analytica, je suis perplexe. Comment un leader comme Facebook a-t-il permis qu’une activité de cette envergure soit déployée? Il faut se rappeler que le scandale de Cambridge Analytica n’est pas le déclencheur du mouvement #deletefacebook. Depuis la dernière campagne présidentielle américaine, l’intégrité du fil de nouvelles Facebook a été sévèrement critiquée. Les études-chocs et les sorties publiques d’anciens dirigeants de Facebook se multiplient et rappellent le côté sombre de la plateforme sociale. L’époque du Printemps arabe où Facebook passait pour un héros de la démocratie moderne semble loin derrière nous.
Si seulement une minorité des utilisateurs actuels de Facebook désirant protéger leurs données grossissent les rangs du mouvement #deletefacebook, est-ce que ce sera suffisant pour faire bouger le géant? Facebook fait partie intégrante de notre vie numérique; nous l’utilisons pour nous abonner à d’autres sites et nous continuons d’utiliser les autres applications appartenant à Mark Zuckerberg (Instagram, WhatsApp, etc.). En dépit des révélations de Wylie, Facebook et Google restent les meneurs incontestés de nos données numériques. Ces entreprises sont de plus en plus difficiles à éviter.
Par contre, un scandale de cet ordre obligera Facebook à changer fondamentalement ses méthodes et à communiquer de façon transparente, sans quoi les effets de ce scandale pourraient perdurer. L’histoire de Cambridge Analytica attire aussi les projecteurs sur un enjeu fondamental de notre industrie : l’éthique relative à la collecte, l’accès et l’utilisation de données. Coïncidence, ce scandale arrive à la veille d’un changement majeur à la politique de protection et d’utilisation des données en Europe. Ces changements auront des échos à l’international et au Canada. En mai 2018, le General Data Privacy Regulations (GDPR – règlement général sur la protection des données) remplacera le Data Protective Directive (DPR) qui avait été implanté… en 1995! Depuis cette époque, le DPR régit l’utilisation des données personnelles des internautes comme le nom, la photo, le courriel ou les numéros d’identification personnels. Avec le GDPR, la définition de donnée personnelle devient beaucoup plus large et inclut maintenant des informations utilisées quotidiennement dans notre industrie comme l’adresse IP, l’identificateur d’appareil mobile, la géolocalisation, etc. De plus, l’identité physique, psychologique, génétique, mentale, économique, culturelle et sociale d’un utilisateur sera aussi considérée comme des données personnelles. Le consentement sur l’utilisation de ces données devra aussi être beaucoup plus explicite et concis qu’avec le DPR.
Alors que le grand public réclame plus fort que jamais la nécessité de la protection de ses données, nous verrons au cours des prochaines années de nouvelles réglementations, comme le GDPR, qui viendront moduler et régir le carré de sable des publicitaires. Rappelons-nous que ce n’est pas seulement Facebook qui doit trembler devant le mouvement #deletefacebook, mais bien toute notre industrie.
Article originalement publié dans Infopresse.
Image tirée de Factor Daily